Résumé : Est-il possible pour des êtres humains d’apprendre un mode de communication d’un groupe de cétacés à dents ? J’entreprend de renouveler l’approche de leurs mondes : En me plaçant dans une position d’apprentissage ; en cherchant la complicité des animaux, pour solliciter leur enseignement ; en laissant une relation se construire avec des animaux non-captifs ; en m’appuyant sur les connaissances scientifiques et traditionnelles sur les sujets connexes à cette aventure ; en organisant des ateliers d’apprentissage multidisciplinaires réunissant les spécialistes rencontrés ; en suivant un programme d’entraînements. Ce dessein s’inscrit dans mon parcours artistique. Il me permet d’aborder au sein d’un même problématique un ensemble de thèmes qui ont fait jusque là l’objet de chantiers distincts : La relation à l’autre. La perception sonore de l’espace. Une connaissance incarnée (où le corps est un instrument du faire connaissance). Les langages et leur relation à l’espace. Ce projet au long cours sera jalonné par des productions tangibles dont les formats refléteront les milieux impliqués : Publications et participation à des séminaires, formes artistiques plastiques, relationnelles et performatives.
Problématique de recherche
Est-il possible pour des êtres humains d’apprendre un mode de communication d’un groupe de cétacés à dents ?
Je précise qu’il s’agit bien d’apprendre et pas seulement d’étudier. Par exemple, il est possible d’étudier des éléments d’un langage humain en suspendant un microphone au-dessus d’un espace public ; mais il serait illusoire de vouloir apprendre un langage humain inconnu sans une immersion linguistique dans un contexte accueillant, ou l’accompagnement d’un enseignant de bonne volonté. Cette entreprise soulève une cascade de questions dont les réponses sont interdépendantes, ainsi :
-Par quels moyens entrer en contact avec les cétacés et exprimer une position d’apprentissage ?
-Quel groupe, de quelle espèce de cétacés à dents (bélugas, orques, cachalots, dauphins, globicéphales, etc.) est susceptible d’y répondre favorablement ?
-Quelles questions éthiques cette entreprise soulève-t-elle ?
Cette approche immersive, sensorielle, incarnée correspond à tous les sens de l’expression faire connaissance. Cela étant, à moins de perdre sa substance, elle ne peut s’inscrire dans l’une ou l’autre des disciplines de production de connaissance telle qu’elle sont définies actuellement. En revanche, des questions essentielles relèvent pleinement du champ artistique :
-Comment se familiariser avec le monde (au sens Umwelt de J. von Huexküll) des espèces rencontrées ?
-Comment la pratique de langages non-verbaux, qu’il soient visuel ou non, peut elle contribuer à cet apprentissage ?
-Sous quelles formes partager les découvertes, les rencontres et les prises de conscience qui naissent au cours de cette recherche ?
Méthodes
L’équivalent d’une immersion linguistique auprès des cétacés, implique la fréquentation régulière d’un groupe d’animaux, sous une forme qui permet l’interaction sonore et gestuelle. Un contexte qui permet ce que les sciences de la pédagogie appelle le retour immédiat d’information : pour qu’une erreur soient une source d’enseignement, sans délai. Un contexte stimulant et rassurant dans lequel l’erreur n’est pas une faute. Cet aspect ne concerne pas seulement le mode de relation avec les cétacés, mais d’abord le contexte humain. Complices humains avec lesquels sont envisagés un ensemble de préparations à la rencontre des cétacés. Non seulement des entraînements à être dans l’eau, mais surtout pour esquisser une représentation de leur monde perceptif et culturel, en trouvant des manières de dépasser la description mentale : incorporer une translation de leur être au monde dans notre être humain.
Apprentissages et entraînements
Est envisagé un ensemble d’apprentissages et d’entraînements, à la fois physiologiques, perceptifs et symboliques pour incarner le monde des cétacés à dents et se préparer à leur rencontre dans l’eau. Les choix détaillés ci-dessous constituent une sélection parmi un panel de pratiques pour lesquelles j’ai commencé à être formé au cours de l’année 2012-2013.
Les cétacés à dents se repèrent dans l’obscurité des profondeurs au moyen d’un sens analogue à celui des chauves souris. Il existe une forme humaine de l’écholocation. Elle est pratiquée depuis très longtemps, et a été formalisée récemment grâce à Daniel Kish (Kish et Bleier, 2000 ; Kish, 2009). L’émission de « clicks de langue » est associée à une écoute des réverbérations acoustiques. Les aires visuelles du cerveau sont activées pendant l’écholocation humaine. Quelques milliers de personnes aveugles dans le monde utilisent cette approche perceptive en complément de la canne, pour identifier les obstacles et prendre des repères jusqu’à plusieurs centaines de mètres, sans aucun appareillage. On peut ainsi distinguer un poteau métallique d’un arbre ou d’un buisson. Les formateurs que j’ai rencontrés voyagent dans le monde entier avec la plus grande autonomie. En deux ou trois clicks, un écholocateur confirmé repère les coins de la pièce dans laquelle il entre et localise les portes ouvertes, couloirs, variation de la hauteur du plafond, etc.. Ce mode de perception est accessible aux voyants, je ne suis pas le seul à en avoir fait l’expérience (Thaler et al., 2014).
Certain groupes de dauphins comptent plus de mille individus, qui nagent et plongent tous ensemble. Quelles sensations procurent la nage au sein d’un groupe plongeant en écholocation ? Un programme d’ateliers d’écholocation, avec initiation en salle et promenades collectives sera proposé aux voyants et non-voyants. Ce programme reçoit à Marseille le soutien de l’A.V.H., association qui touche un grand nombre de personnes aveugles.
Les cétacés à dents sont des mammifères, et portent des poumons. A la différence des poissons, ils sont incapables de capter l’oxygène dissous dans l’eau. Ils plongent en apnée. La pratique humaine de l’apnée est non seulement un outil pour se représenter ce qu’ils vivent, elle permet aussi de les fréquenter sous la surface pendant quelques minutes, sans d’appareillage. A l’inverse, la plongée avec bouteille impose un équipement qui ne permet pas la souplesse et la rapidité nécessaire pour suivre dans l’eau des animaux comme le dauphin. La plongée en apnée est accessible au plus grand nombre et requiert l’inverse d’un effort : plus la personne est détendue, moins elle consomme d’oxygène, et plus l’apnée pourra durer longtemps. Parmi les activités méditatives développant la connaissance de soi, l’apnée offre un retour d’information immédiat : la sensation de manquer d’air.
La communication par le son est importante chez les cétacés. Peu d’instruments de musique ne sont pas encombrant pour la nage ou la plongée. C’est le corps humain qui sera pris comme instrument d’improvisation sonore, dans une association de ce qu’offre les nombreuses formes du chant, du bruitage et du beat-box. Faute de mieux, j’appelle ces pratiques techniques vocales. A l’échelle de mon expérience, elles sont avec la danse improvisée le moyen le plus accessible pour exprimer sans les mots l’état d’être dans lequel on se trouve. Un des exercices récurant dans l’enseignement du chant est de faire résonner telle ou telle partie de son corps. Chant de gorge, voix de tête, mais aussi chant de sexe, de cœur ou d’os. Le répertoire des techniques vocales est immense : claquement de langue, raclement de gorge, ronflement, sifflement, hoquètement, nasillement, froissement, grincement, gargouillement, etc.. D’autant plus intéressant à développer pour cette recherche qu’une partie de ce répertoire peut-être pratiqué en apnée.
La communication entre les cétacés à dents passe aussi par la position du corps dans l’eau, des gestes, et par la position des corps les uns par rapport aux autres. Le Contact Improvisation (aussi appelé Danse Contact) est une manière de commencer à pratiquer une forme non-verbale de communication, à terre. « Le contact improvisation est un produit des contre-cultures des années soixante. Le contact physique entre deux ou plusieurs partenaires, la gestion de la gravité et de l’élan des corps en mouvement sont à la base de la pratique. Plus largement : la relation et la communication des corps dans l’espace. C’est un éveil des réflexes et de l’équilibre, de nos perceptions spatiales, un éveil de tous les sens et en particulier le toucher » écrit Mathilde Monfreux. Une forme aquatique existe, elle est particulièrement riche d’enseignements sensoriels sur l’être dans l’eau et s’appelle le WATA, ou Wasser Tanze. L’ancrage dans le sol et dans la gravité est transposé pour un ancrage dans l’eau. Ces deux pratiques improvisées sont de merveilleux outils d’exploration de la chose collective… Et de ce que peut être la nage en banc pour les cétacés.
Le kayak a été mis au point par des inuits chasseurs de baleines. Il permet une approche rapide et silencieuse. L’embarcation fait corps avec son pilote, procurant la sensation d’être chimère : une forme marine du centaure. La manœuvre de l’esquimautage permet de passer à l’eau sans quitter le bateau. Ce mode de navigation doux s’apparente au vélo pour les distances qu’il permet de parcourir, le type d’effort, et la charge qu’il permet de transporter pour une autonomie en randonnée.
Le principe de « l’auto-école »
Les apprentissages décrit plus haut sont des préparations à l’apprentissage auprès des cétacés, comme une mise en jambe, pour se remettre dans le bain de l’apprentissage. Ils sont aussi l’occasion de revisiter la manière d’apprendre. Cherchant encore une fois à se mettre à la place de l’animal, on peut se placer dans la position d’enseignant que l’on souhaite qu’il accepte. Chaque enseignant que je fréquente, chaque spécialiste que je rencontre est essentiellement naïf vis à vis des savoirs et savoirs faire développés par les autres… Naïf, mais souvent curieux. Ainsi émerge le projet de réunir les plus enthousiastes de ces spécialistes pour une série d’atelier d’auto-formation : au cours duquel chacun initie les autres à ses spécialités et reçoit les enseignements des autres. L’entreprise est courageuse de leur part car : bien qu’ils soient des spécialistes reconnus dans leur domaine, ils seront au sein du groupe la plus part du temps des experts en naïveté… Mais bientôt experts en apprentissage.
L’auto-école se déroule par sessions d’une à deux semaines. Chaque session comporte une partie à terre et une partie en mer, idéalement à la rencontre des cétacés. Le programme de chaque session est établi de manière collective, au cours des journées préparatoires. Il n’est pas envisagé qu’un participant puisse dispenser son enseignement et partir : le don de son savoir-faire est indissociable de celui de sa naïveté. Le groupe de l’auto-école a une dimension variable d’une session sur l’autre, avec un noyau dont je fais partie. Le noyau assure la transmission de principes organisationnels qui se sont révélés fructueux au cours des sessions précédentes.
La problématique développée vers les cétacés porte sur la relation et la question du vivre ensemble. L’auto-école reflète ce parti-pris : le mode de décision y relève de l’intelligence collective.
Quels cétacés, où ?
Le sous-ordre des odontocètes compte environ 80 espèces. Plusieurs se laissent approcher par l’homme : notamment le grand dauphin commun (Tursiops truncatus), le dauphin à long bec (Stenella longirostris), le dauphin tacheté de l’Atlantique (Stenella frontalis), le béluga (Delphinapterus leucas), l’orque (Orcinus orca), et le globicéphale (Globicephala melas). Certains individus cachalot (Physeter macrocephalus) approchent spontanément des bateaux et des plongeurs, ainsi le fameux Scar, au large de l’île de la Dominique.
Les voyages suivants sont envisagés pour les rencontrer, dans un premier temps sur des séjours de 2 à 3 semaines. Les destinations sont motivées par leur relative accessibilité depuis la France, et le fait que les cétacés présents sont déjà étudiés.
En Méditerranée en mer de ligure et autours de la Corse pour rencontrer dauphins, globicéphales, et quelques cachalots, entre les Baléares et l’Espagne pour rencontrer d’avantage de cachalots(Drouot, Gannier, et Goold, 2004). Entre mai et octobre.
En Mer Blanche (En Karélie, territoire russe frontalier de la Norvège) pour rencontrer une communauté de bélugas étudiée depuis plus de 20 ans (Belkovitch et Shekotov, 1993). Entre juin et août avec le soutien de Rauno Lauhakangas qui assure le lien avec l’équipe russe.
Aux Antilles (Guadeloupe et Dominique) pour y rencontrer des communautés de cachalots dont la structure est très documentées (Gero et al., 2007). De février à mai.
Au Bahamas pour rencontré les dauphins tachetés de l’Atlantique (Herzing, Delfour, et Pack, 2012).
Fiction corporelle
Cette recherche est l’objet du développement de plusieurs outils spécifiques :
Pour comprendre de manière globale les connaissances que j’avais lues sur les cachalots, j’ai eu besoin d’en faire une synthèse. Celle-ci a pris la forme de la « Fiction Corporelle cachalot, méthode pour se sentir cachalot en 1h30 ». Après une conférence de science avec dessins au tableau (30 minutes), chaque auditeur est invité à s’allonger. Immobile, il est interprète et spectateur de son interprétation. Son corps est le lieu de projection de la fiction : « Le corps humain est la forme de départ que l’imagination va déformer ». Pour vraiment situer ce qu’est une Fiction corporelle, il est nécessaire d’en faire l’expérience, ou à défaut en regarder une captation video (https://borisnordmann.com/B/fiction-corporelle-araignee/). La forme des Fictions Corporelles est considérée comme un outil de connaissance. Elles sont utilisées systématiquement pour cette recherche : Une Fiction Corporelle spécifique est crée pour chaque espèce avec laquelle des interactions auront eut lieu, qu’il s’agisse de cétacés ou d’autres animaux rencontrés en route.
Comment translater dans son schéma corporel humain un écosystème marin avec ses courant, son histoire, ses dynamiques saisonnières, sa bathymétrie ? Le principe des Fictions Corporelles a déjà été appliqué d’autre entité que des animaux, notamment une ville : à travers un audio-guide qui propose des état de corps associés à des dimensions de temps, d’espace et de flux correspondant à l’agglomération Marseille-Provence. Rien ne s’oppose à ce que le principe génératif des Fictions Corporelles soit aussi appliqué aux lieux des interactions animal-humain. Il sera fait en sorte que deux Fictions Corporelles ne se ressemblent pas, même si elle se rapportent à des entités comparables (par exemple globicéphales et bélugas, ou Mer des Baléares et Mer des Caraïbes). Cet enjeu est la pierre de touche d’une compréhension étoffée de chaque sujet.
Oreilles subaquatiques
Nageant et plongeant parmi des dauphins, je ne sais pas quel animal vocalise à quel moment. C’est un grand handicap pour comprendre la teneur de leur échange. L’oreille d’un homme sous l’eau localise difficilement d’où vient un son. En effet, dans l’air, plusieurs indices acoustiques permettent au cerveau de déduire la direction d’où provient un son. Mais ces indices disparaissent quasiment une fois la tête immergée dans l’eau de mer. Afin de pouvoir entendre à l’oreille, en temps réel et sans sortir de l’eau quel dauphin vocalise, j’entreprends la réalisation d’une cagoule de plongée qui facilite l’écoute spatialisée sous l’eau. Un des enjeu est que ce dispositif fonctionne sans électronique, pour limiter les pannes et faciliter les réparations en mer.
Résultats
ou Les formes du partage
L’objectif de cette recherche n’est pas d’établir si oui, il nous aura été est possible d’apprendre auprès des cétacés à dents. Ou bien si ; mais l’essentiel est ailleurs. Sous quelles formes partager avec des humains les découvertes, les rencontres et les prises de conscience qui naissent au cours de cette recherche ?
Film
Un documentaire avec des morceaux de fiction se nourrit des rencontres de personnes humaines et non-humaines, de l’auto-école, des ateliers d’écholocation pour voyants et non-voyants et des prises de conscience qui naissent pendant le projet.
Quelques adresses au spectateur lui proposent de se placer à la fois comme interprète et comme spectateur de son interprétation, questionnant le dispositif de prise en charge des corps par la salle de cinéma.
Le prima de l’être vivant sur l’être technologique, l’importance de la chose sonore qui est développé dans le projet de recherche invite à s’affranchir des caprices de la caméra video pendant les périodes d’apprentissage. Ainsi les prises sur le vif sont essentiellement des enregistrements sonores soignés et des photos.
Le tournage est envisagé comme une étape importante pour l’apprentissage, au même titre que l’analyse de ses données pour un scientifique. Le fait rejouer et faire rejouer ce qui a été vécu par d’autre est une des clefs du processus d’incorporation. Les situation auparavant vécue deviennent des scènes, les personnes deviennent des personnages. Les situations relationnelles remarquables vécues avec les personnes humaines et non-humaines, pendant l’auto-école et au-dela, sont rejouées et filmées. Cela se passe à terre, avec les moyens du bord. Faire avec ce qui est là au moment du tournage permet d’affirmer que le contexte est différent de la situation initiale, ce faisant l’accent est mis sur ce qui se joue quand on rejoue.
Exposition
Ce qui est nommée plus haut « oreille aquatique » s’inscrit dans la longue lignée des orthèses conçues par des artistes, de Léonard de Vinci à Carsten Höller.
Au delà de cet objet, l’exposition est celle de l’apprentissage. Elle est vivante et documentée, dans le sens adopté par Rétrospective de Xavier Leroy (Centre Pompidou, Mars 2014). L’exposition est envisagée comme un lieu de vie, d’apprentissage et d’échange. Un temps pendant lequel l’incorporation agit : on y rejoue des animaux, des choses et des gens, on y pratique l’écholocation, on y donne des Fictions Corporelles.
Fictions corporelles
Je porte les Fiction Corporelles comme des sculptures. Leur matériaux est le schéma corporel de l’auditeur. Ces sculptures n’ont pas de socle, elles se présentent comme à la maison. La condition de leur bonne réception est que les gens se sentent à l’aise. A l’aise pour adopter les consignes et l’état de fragilité par lequel elle impliquent de passer : on ne sens pas cachalot en public sans un certain risque social. A l’aise pour percevoir que le choix de ne pas adopter les consignes est inscrit entre les lignes. Elles sont donc jusque là, le plus souvent présentées à la maison, chez quelqu’un qui choisi d’inviter ses amis pour un voyage intérieur collectif.
Références, ou panorama des recherches connexes
Certaines pages du Chant de mille miles (Thousand mile song, Basic books, 2010) me donne l’impression de marcher dans les pas de David Rothenberg. Son nom est associé à la philosophie de la Deep Ecology. Clarinettiste en vue sur la scène des musiques improvisées, il est connu pour son activité avec des musiciens humains et pour ses dialogues musicaux avec des animaux : baleines à bosses à Maui, bélugas en Karélie, orques, et encore des oiseaux et des insectes. Sa production littéraire* abondante et généreusement documenté retrace son cheminement d’une manière claire et pragmatique. La nature des échanges qu’il développe avec des animaux est strictement musicale. Il est engagé dans des collaborations avec des chercheurs en éthologie (comportement animal). Ses recherches actuelles visent une formalisation de la notation graphique des échanges musicaux improvisés : pour une extension du solfège.
Précurseur des actions artistiques inter-espèce, Jim Nollmann enregistre un concert avec des centaines de dindes pour Thanksgiving en 1973. Il fonde l’organisation « Interspecies », rédige plusieurs best-sellers sur ses relations musicales avec des animaux (des loups, bélugas, orques), les rencontres estivales qu’il a organisé entre des orques et des musiciens de différentes cultures, ses propres rencontres avec des américains natifs, son engagement dans des actions périlleuses comme la libération de dauphins destinés à un massacre au Japon. Il porte une certaine amertume envers le monde scientifique, qui le lui rend bien. Il se consacre actuellement au jardinage. Sa production littéraire dans un style fleuri me touche par la description des situations de flottement et de doute qu’il rencontre.
Le rapport à la technologie qui est développé dans ce travail de recherche trouve une affinité au niveau cinématographique dans l’œuvre de Chris Marker. Son utilisation de l’image fixe et de la voix off influence déjà mon travail (voir https://borisnordmann.com/B/ubiquiste/). Mon projet est également marqué par l’économie de moyen d’Alain Cavalier dans « Thérèse » (dont toutes les scènes sont jouées en studio sur un fond gris) et son interprétation du rôle du documentariste pour les « 24 portraits ».
Ce qu’il s’est passé au Black Mountain College de 1933 à 1957 influence ma manière d’aborder apprentissage et enseignement, la relation entre pratique artistique, connaissance et auto-gestion.
Dans Politiques de la nature, comment faire entrer les sciences en démocratie (La Découverte, 2004), Bruno Latour propose une restructuration utopique de la démocratie et des métiers actuels, de manière à intégrer les non-humains dans la constitution d’un monde commun.
L’ouvrage de Dominique Lestel Les origines animales de la culture (Flammarion, 2009), a rappelé que la culture n’est pas l’apanage de l’Homme. Vincianne Despret développe un travail de synthèse pointant la manière dont les animaux sont questionnés, appuyant le rôle des femmes et d’une forme de politesse dans ce qu’il est convenu d’appeler la nouvelle école en éthologie. S’agissant d’animaux sociaux, l’immersion dans une société animale, donne des résultats quand elle s’installe dans la durée. Ces approches profitent des enseignements de l’anthropologie de terrain. On connait bien le travail de Jane Goodall avec les chimpanzés, et celui de Dian Fossey avec les Gorilles. On connait moins celui de Bernd Heinrich avec les corbeaux.
En introduisant un tiers dans sa relation avec Alex, un perroquet gris du Gabon, Irène Pepperberg a pu lui enseigner une quantité de vocabulaire comparable à celle d’un enfant de 4 ans.
Denize Herzing travaille depuis 29 ans avec une population libre de dauphins tachetés au Bahamas. Avec ses collègues Adam Pack et Fabienne Delfour , elle développe des interactions homme-dauphins via un clavier sous-marin informatisé(Herzing, Delfour, et Pack, 2012). Un masque de plongée indique aux chercheurs par des lumières la direction d’où provient un son. L’équipe utilise la méthode du tiers qu’ Irène Pepperberg a développée avec le perroquet Alex.
David Pelegrin Garcia développe à l’Université Paris Sud les prémisse d’un dispositif d’écholocation dans un bâtiment modélisé in silico d’un point de vue acoustique. L’équivalent en écholocation de Google-street view. L’écholocalisant porte un microphone devant la bouche et un casque sur les oreilles. Il peut entendre l’écho de ses clicks de langue dans l’espace modélisé.
Aisen Caro Chacin (Chacin, 2014) développe un dispositif d’initiation à l’écholocation pour les personnes voyantes utilisant un haut parleur directionnel par interférence d’ultra sons.
Etapes clefs
Plusieurs chantiers ont étés énoncés plus haut. Les trois années du programme doctoral seront jalonnées par les étapes suivantes :
Fréquentation des cétacés
Un premier voyage est prévu pour chacune des destinations citées : Méditerranée (Ligure, Corse, Baléares), Antilles, Bahamas, Mer Blanche. La qualité des relations avec les cétacés rencontrés permettra de préciser à quel endroit revenir souvent ou longtemps, quel mode de navigation et d’approche, avec quel équipage et quel matériel.
Oreilles aquatiques
Le quatrième prototype a déjà permis de valider la faisabilité d’un dispositif sans électronique. La conception alternera prototypage et test psychophysique, en bassin, puis en mer, puis avec des cétacés. Il n’est pas exclu de réaliser un prototype intermédiaire avec électronique.
Auto-école
La mise en place de l’auto-école commencera dès la rentrée : constitution d’un groupe bénévole auto-géré, deux premières journées d’explorations, définition du calendrier pour un an, et du programme de la prochaine session. Les étapes prévisibles sont liées aux apprentissages : la première randonnée collective en écholocation sans accompagnant voyant, plonger à 10, puis 15 mètres en apnée, savoir esquimauter, sortir en kayak par gros temps, se joindre à une « jam » (l’équivalent d’un bal pour le contact improvisation), chanter dans l’eau… et bien sûr, la rencontre collective avec des cétacés, commencer de préférence dans des eaux chaudes comme aux Antilles.
Film
La recherche d’un producteur commencera avec la rentrée doctorale. Tout au long du travail seront collectés photos et enregistrements sonores, dans l’air et dans l’eau. Je tiendrai un journal personnel, qui nourrira l’écriture d’un scénario. Un tournage proprement dit, en extérieur et en studio sera suivi d’une période dédiée à la postproduction.
Annexe bibliographique